Le Musée des Mascarons sous l’oeil du président du MRVT

Monnaie sonnante et trébuchante

Cette expression signifie aujourd’hui l’argent liquide, celui que l’on peut toucher en pièces comme en billets.

Autrefois c’était pour qualifier les vraies pièces de monnaies; celles, qui de métal pur, sonnaient bien et que l’on pouvait trébucher, c’est-à-dire poser sur le trébuchet, cette petite balance de précision.

Pour le son, certains d’entre nous se souviennent du bruit des pièces sur les tables et les comptoirs. Car jusqu’il y a peu, rappelons-nous l’année 1968, les pièces suisses étaient encore en argent.

Quant à la valeur, elle était en relation directe avec le poids de métal précieux des pièces elles-mêmes.

La stabilité de la valeur des monnaies était exemplaire, comme le franc germinal institué en 1803, malmené pendant la première guerre mondiale et qui ne mourra qu’en 1926. Ainsi il y avait des tableaux de poids et de correspondances de valeurs entre les multiples monnaies qui circulaient dans toute l’Europe. Loin de l’euro aujourd’hui toléré en Suisse, il était alors possible de payer, par exemple en Scandinavie, des marchandises avec des ducats vénitiens. Il s’agissait donc de les peser pour s’assurer de toutes ces diverses pièces. D’abord parce que certaines étaient mal connues, ensuite pour vérifier leur réel poids et mettre à jour des fausses pièces, faites d’alliages plus légers, ou encore des vraies trop usées ou rognées. Pour éviter cette méthode discrète et malhonnête de gagner un peu de métal précieux sur la tranche de chaque pièce, les pièces de monnaies portaient des cannelures ou un texte.

Aujourd’hui les balances ont évoluées. Sur la base du poids d’une certaine quantité de pièces, elles peuvent nous indiquer le total de pièces sur leur plateau.

Et les pièces portent toujours sur la tranche des stries, maintenant pour aider les malvoyants à les identifier.

                                                                                                                                          Benoît Conrath

La bible en vitrine

Jusqu’en 1950, le clivage entre catholiques et protestants était important. Tout d’abord, il y avait les cantons protestants et ceux qui étaient restés catholiques, ensuite les personnes ne voyageaient pas beaucoup et la mixité, le brassage des populations comme l’accueil des réfugiés n’étaient pas à l’ordre du jour.

La religion protestante est centrée sur la bible. C’est «l’Écriture», c’est le Livre, la Bible avec des majuscules. Avec l’arrivée de l’imprimerie, la bible va pouvoir arriver dans les foyers. Elle va être rédigée en français et va être lue par le père de famille autour de la table.

Ainsi les protestants vont apprendre à lire. Ensuite les principes propres à cette religion, comme la responsabilité individuelle face à Dieu et le refus d’une médiation avec lui via le clergé ou les saints, font que les protestants sont assidus au travail et prennent en main leur destin. La population des Montagnes Neuchâteloises, réformée, va donc travailler beaucoup. Plus que les rigueurs du climat qui laissaient du temps aux habitants en hiver, c’est beaucoup le protestantisme qui a invité les paysans du Haut à s’activer; l’oisiveté n’a pas lieu d’être et le Salut s’acquiert par l’activité et la louange. Avant l’horlogerie, c’est le travail du fer, celui de la dentelle et d’autres encore qui sont pratiqués.

Arrive l’horlogerie de gros et petit volume au tournant du 18e. Jean-Jacques Rousseau nous décrit des fermes où toute la famille s’active. Certains sont à l’établi, d’autres dessinent et pourront alors retranscrire des thèmes de décoration en gravures; l’étude de la musique n’est pas oubliée car elle permettra d’accompagner la louange au temple. Et au milieu de ces activités efficaces et rentables, il y a la bible qui sera lue et relue, qui sera ouverte aux moments heureux comme malheureux. Et sa première page portera, de la main du chef de famille, la mention des naissances et des décès. Oui, la Bible comme compagne et témoin de tous les jours.

Benoît Conrath

Une arme multifonctions : la hallebarde

Cette arme, due à l’ingéniosité des premiers confédérés, a servi à appuyer notre liberté face aux Habsbourg. Comme les couteaux suisses, inventés un peu plus tard, elle est très polyvalente et ses multiples fonctions l’ont très vite fait adopter par les pays environnants.

Avec sa longue pointe et son manche figé au sol, elle permet de stopper les charges des chevaux en frappant d’estoc, avec sa lame de hache elle peut frapper de taille et avec son crochet son porteur peut espérer désarçonner le cavalier. Cet outil polyvalent est fixé sur un long manche qui permet de se tenir à bonne distance des armes de l’adversaire. Dès après la virole, le haut de la hampe est protégé des lames par des bandes de métal.

Détail non sans importance, un ou des pompons sont fixés près du fer. Loin de la décoration, leur rôle est très concret, c’est d’éponger le sang de l’ennemi qui n’ira donc pas poisser le manche. Et elle porte des marques, poinçons ou découpes pour la reconnaître avant comme après les batailles qui regroupaient plusieurs compagnies de suisses de divers cantons.

Ces fonctions diverses appellent des duretés, des souplesses d’acier différentes. Il revient au constructeur de réaliser, d’assembler, de souder ensemble plusieurs pièces à la forge.

Nous ne sommes vraiment pas loin du couteau suisse, lui aussi pensé polyvalent pour répondre aux besoins du soldat confédéré, à la différence que celui-ci a choisi depuis longtemps la neutralité.

Devenue désuète dès l’arrivée du mousquet et condamnée par la baïonnette, la hallebarde est restée l’arme de prestige de la Garde suisse pontificale ou ici des gardes-foires du Vallon.

Benoît Conrath

Les clefs des fenêtres en attente

Souvent les ouvertures ménagées dans les façades des bâtiments pour les portes et les fenêtres sont en forme d’arcs. Elles sont construites avec des pierres taillées en cintre nommées claveaux ou clefs. Réparties équitablement, ces pierres font place au centre à une clef symétrique qui peut porter une date, des lettres ou être sculptée. Très à la mode au tournant du 18e siècle, ces pierres portent des figures humaines inspirées de la tradition du théâtre antique avec une chevelure parfois indomptée et des traits forts exprimant des émotions non contenues. En architecture, on appelle cela un grotesque ou un mascaron.

Contemporaine de cette époque, la Maison des Mascarons porte ainsi des têtes sculptées au-dessus des portes et des fenêtres. Sans doute représentant les quatre saisons en façade sur la rue, elles sont ailleurs variées. Elles se sont vues aussi parfois mutilées par les agrandissements des portes. Et d’autres sont en attente, elles n’ont pas été taillées, certaines portent un tracé à la sanguine mais elles attendent toutes le ciseau du sculpteur qui les animera.

Pourquoi ne sont-elles pas finies ? C’est difficile à dire: changement de mode, caprice du propriétaire, décès du sculpteur ou d’un habitant, remarques acerbes d’une personne qui s’étonnait de la légèreté de ces sculptures. Les suppositions ne manquent pas.

Et pourquoi ne les finissons-nous pas? Ces clefs en attente de taille ne seraient-elles pas une invite à s’exprimer pour les artistes qui rôdent régulièrement dans le village de Môtiers ? Alors, au lieu de construire ex nihilo des masques non-figuratifs; en continuité avec l’excessivité des expressions exprimées, les artistes pourraient rechercher des trognes locales. Ce serait un choix ardu car les personnes de tête ne manquent pas par ici.

Oui, loin du respect du passé et du souci de maintenir en l’état un bâtiment historique, c’est peut-être la difficulté de choisir les têtes à faire figurer au-dessus des fenêtres qui continuent d’interdire la terminaison de ces clefs.

Benoît Conrath

La machine à tailler de Bernet

Il y a dans les ateliers des machines importantes. Importantes car elles sont très utiles, d’un grand coût et souvent transmises de génération en génération. Cette machine à tailler les engrenages en est un bel exemple. Datant du 18e siècle, elle avait sa place dans l’atelier du père Bernet, comme elle aurait pu encore être utile ailleurs jusqu’en 1950, voire encore aujourd’hui. Elle a pour rôle de tailler la denture des roues des pendules.

Sommairement découpée, la rondelle, qui deviendra la roue, est fixée sur l’axe du plateau diviseur. Un curseur est positionné sur la rangée de divisions adéquate ou son multiple, par exemple la rangée de 168 permet de tailler 168 dents ou 84 en sautant un trou sur deux, ou encore 56 en en sautant deux sur trois ou encore 42 en en sautant trois sur quatre. Bien qu’il permette d’économiser des lignes de divisions, ce système demande beaucoup d’attention avec les sauts de trous à respecter impérativement.

Division après division, l’horloger fait tourner l’axe du plateau qui porte la rondelle et la fraise, entraînée à la main, taille la denture, dent après dent. Il s’agit de tailler 3-4 dents d’un côté de la rondelle puis 3-4 dents de l’autre côté afin de vérifier le bon diamètre de la future roue avec le pied à coulisse. Si c’est bon, le taillage de la roue peut continuer. Sinon, il s’agit d’avancer le porte-fraise pour diminuer le diamètre de la roue.

Passage de fraise après passage de fraise, la roue prend forme. A la fin, il peut y avoir un peu de tension chez l’horloger au moment de tailler la dernière dent ; car elle doit évidemment avoir les mêmes dimensions que ses voisines.

Puis la nouvelle roue, retirée de la machine, doit être croisée. Le traçage se fait en s’appuyant sur le nombre de dents très souvent divisibles par le nombre de bras, 4 ou 5, et ils sont ensuite découpés.

La dernière opération, c’est la fixation du disque de la roue (la planche) sur l’axe via une siette, cet anneau de laiton solidaire de l’axe, ou alors directement sur les ailes du pignon.

Restera à mettre entre les broches du compas aux engrenages la roue et le pignon pour valider le passage des dents dans les ailes du pignon en approchant ou en écartant les deux mobiles. Pour un rhabillage, l’ouverture du compas est prise sur la platine de la pendule. Pour une construction neuve, une fois l’engrenage « fait », les pointes des broches du compas permettront de reporter la distance des centres sur la platine afin de la percer pour planter le rouage.

Beaucoup de mots techniques autour de ces opérations, tellement imagés qu’ils sont presque facile à comprendre.

   Benoît Conrath

La boîte en porcelaine chinoise

Les objets durent plus longtemps que les personnes et souvent leur histoire se perd. Entre le temps qui gomme les informations, un legs confus à la suite d’un décès et la très actuelle fugacité de nos passions, les reliques du passé tournent et circulent de mains en mains; quand elles ne finissent pas irrévocablement à la poubelle. Parfois certaines choses remontent à la surface de l’oubli grâce à la perspicacité des connaisseurs. Alors l’objet renoue avec l’histoire, grande ou petite.

Ainsi lors d’une brocante dans la région, l’œil affuté de la conservatrice honoraire a permis au MRVT d’acquérir cette boîte.

Sur son couvercle, figure un étonnant contraste entre de grands bâtiments avec des drapeaux européens en arrière-plan et un port. La berge est animée de personnages et de bateaux de type asiatique. Il s’agit d’une vue emblématique, aisément reconnaissable, du port de Canton.

Durant le 19e siècle, la Chine présentait de belles occasions de faire du commerce. Imposée à la suite de conflits entre les britanniques et l’Empire du Milieu, la présence de commerçants étrangers n’était que tolérée et seulement dans certains ports. Les négociants européens n’avaient pas le droit d’entrer dans le pays ni d’y commercer directement. Ils restaient donc sur de toutes petites surfaces, les concessions, avec leurs bureaux, leurs entrepôts et leurs logements. Dûment repérables par leurs drapeaux, les « factoreries » abritaient ces micros-sociétés qui regroupaient des commerçants de nationalités diverses comme des anglais, des français, des suisses, des hollandais, des américains ou encore des scandinaves. Là, ils recevaient les marchands chinois pour leur vendre des objets venus d’Europe, voire le très controversé opium indien et ils leur achetaient en retour du thé, de la soie, des porcelaines et des « chinoiseries » comme cette boîte. C’est à cette époque que des montres construites dans notre vallée, d’un type dit « chinois » ont fait la renommée de Fleurier. Reste de ce commerce lointain, outre de belles histoires, des demeures remarquables au pied du Chapeau de Napoléon, des montres qui ne sont jamais parties en Chine et parfois des objets qui réapparaissent, comme cette boîte, à Valangin.

Benoît Conrath

Des fenêtres ajoutées aux façades

Au tout début du 18e siècle, les habitants du Val-de-Travers se sont mis à l’horlogerie. Cette activité se pratique autour d’un établi, une forte table assez haute. Parce qu’une bonne lumière est indispensable, les établis sont placés derrière des fenêtres. Comme les ateliers regroupent alors plusieurs personnes, il faut donc avoir plusieurs fenêtres accolées. Dans les maisons villageoises, comme dans les fermes, les habitants pratiquent des ouvertures supplémentaires dans les façades; parfois, en doublant les fenêtres, parfois, en les agrandissant, ou encore, en en ouvrant des nouvelles, plus grandes qu’à l’origine. La grammaire des bâtiments s’en trouve bouleversée, comme très rapidement l’ensemble du tissu économique régional lorsque l’horlogerie prend de l’importance.

C’est le cas de la façade sur la cour des Mascarons, avec ses deux fenêtres supplémentaires encadrées par des moellons gris.

Ensuite, et jusqu’à la presque fin du 19e, dans chaque village des maisons sont bâties avec des grandes rangées de fenêtres. Ces constructions spécifiques sont pensées pour héberger les travailleurs dans les étages inférieurs et les ateliers en haut, sous les toits. Là derrière ces grandes baies, s’active à l’établi la famille entière avec, souvent, quelques ouvriers. Quant à l’orientation, les constructeurs évitent le Sud; car à la violence du soleil, ils préfèrent le Nord pour la douceur de la lumière. La hauteur de l’atelier donne du dégagement et permet de lever les yeux de son ouvrage pour les reposer en voyant loin, elle garantit aussi une lente évolution de l’intensité de la lumière. Quant à la pureté de nos ciels automnaux et hivernaux, elle encourage les horlogers à bien visualiser la qualité de leurs travaux.

Vient ensuite le temps des fabriques, de la séparation entre habitat et atelier et l’arrivée de l’électricité. Encore une étape qui modèle l’urbanisme de nos vallées. Le dernier temps de cette évolution se vit maintenant avec la transformation de plusieurs fabriques en habitat et la construction d’usines horlogères.

Et tout cela se lit dans notre environnement comme un livre ouvert.

                                                                                                                                                Benoît Conrath

Chaleur à conserver : doubles fenêtres et autres astuces

Dès la fin de l’été, le froid s’installe peu à peu dans nos régions. Il est temps d’allumer la chaudière et de démarrer le chauffage de nos appartements modernes. Toutes les pièces seront donc à 20°, et la cave sera peut-être difficile à maintenir au frais. Derrière nos doubles-fenêtres, bien au chaud partout, nous verrons dehors la pluie, la neige, la froidure assaillir le jardin et les passants.

Les pratiques d’autrefois sont aujourd’hui désuètes. La première était de ne chauffer que certaines pièces comme la cuisine et la « chambre ». La cuisine se chauffait d’elle-même puisque l’on y brulait du bois pour y cuisiner. La « chambre », cette pièce où l’on se tenait, où l’on passait le temps de la lecture, de l’ouvrage et des échanges était dotée d’un poêle à bois. Quant aux pièces à dormir, elles n’étaient pas chauffées, parfois tempérées mais guère plus. Et les corridors et les resserres étaient laissés aux températures extérieures, on y passait juste.

Le bois de chauffage, comme les autres combustibles, constituait une dépense importante pour les ménages. D’autres matières complétaient les moyens de chauffage comme le charbon, onéreux mais aussi capable de chauffer plus densément, les briquettes de charbon qui étaient utilisées souvent pour faire durer la nuit le feu du poêle ou encore, dans nos hautes vallées, la tourbe qui a l’avantage de bruler lentement, l’idéal pour le mitonnement de certains plats mais le désavantage de laisser des cendres en grandes quantités.

Depuis toujours, le meilleur moyen d’avoir chaud est de ne pas laisser entrer le froid. Quelques techniques utilisées autrefois sont encore visibles dans plusieurs logements anciens.

Ainsi les numéros tracés dans les embrasures des fenêtres correspondent aux paires de volets et de doubles fenêtres ajustées à chaque ouverture. Car aux changements de saisons, les occupants étaient invités à remplacer les volets par des doubles fenêtres et réciproquement.

Placés entre les pièces, les seuils intriguent les occupants actuels. En arrivant en butée contre un petit seuil, le panneau de la porte limite les vents coulis, l’une des préoccupations de nos anciens pelotonnés près du poêle. Les courants d’air sous les portes étaient encore freinés par de vieilles couvertures, roulées. Des boudins de chiffons étanchaient encore les fenêtres; des doubles portes dans les corridors empêchaient la bise de glacer l’entier de la maison à chaque entrée ou sortie. Sans compter l’invitation aux visiteurs d’opter pour une porte moins ventée, voire le calfeutrage et la condamnation de celles jugées trop gourmandes en calories. Quant aux lourds rideaux, ce n’était pas qu’une mode et un souhait de ne pas laisser voir son intérieur, c’était aussi un moyen efficace de contrer le froid, ce froid qui n’avait que l’envie d’entrer par les portes et les fenêtres.

Cette lutte était un vrai défi de chaque instant, mais alors on était si bien au chaud contre le poêle à sommeiller légèrement.

                                                                                                                                                Benoît Conrath

Atelier ou ménage ?

L’électricité est arrivée lentement dans le quotidien de nos proches aïeux. Il s’agissait d’une chose nouvelle et dangereuse. Sa technique de distribution effarerait encore la personne raisonnable. Les fils nus, à peine isolés avec de la gutta-percha, une gomme naturelle maintenue dans un maillage de coton, couraient à ras du plafond des maisons, traversaient les parois boisées via des isolateurs en porcelaine. Même avec un petit voltage et une faible intensité, les électrocutions, comme les étincelles et les surchauffes, étaient fréquentes. La nuit, comme lors des absences, un interrupteur général permettait la mise hors-tension de ces circuits douteux et inquiétants. Souvent mêmes les plus hardis bricoleurs, rompus aux tâches ardues et compliquées, s’abstenaient de manipuler cette nouvelle énergie invisible, ressentie comme presque sournoise.

Dans la vie quotidienne, il en fallait si peu d’électricité ! Pas de machines pour scier le bois ni bricoler, pas plus d’électro-ménager, ni de chauffage ou autre appareil domestique. Le premier rôle de cette fée électricité a été de fournir de la lumière. Alors dans les maisons du Val-de-Travers, là où les horlogers travaillaient à l’établi derrière de grandes fenêtres pour recevoir le plus de lumière naturelle et gratuite, on a commencé à éclairer le matin et le soir comme sur cet interrupteur soit le ménage, soit l’atelier. Pas d’ostentation, pas de luxe dispendieux, non, juste une ampoule nue à la cuisine, peut-être à la chambre, et un quinquet avec son abat-jour sur l’établi.

Cette électricité était produite par des turbines mises en place dans les rivières, ou au pied de barrages. Encore entre les deux guerres, comme la population n’en consommait pas assez, les sociétés productrices d’électricité organisaient des campagnes de promotion. Par exemple à Couvet, il y eut des illuminations de bâtiments, associées à une puissante promotion de potagers électriques et de radiateurs. Imaginez, Mesdames, plus besoin de bois, de briquettes! Quelle modernité!

                                                                                                                                                           Benoît Conrath

Terminologie horlogère

Faire parler un horloger à l’établi n’est pas toujours simple. Tout à leur ouvrage, certains se tairont car ils n’ont pas envie d’expliquer ce qu’ils font, tout simplement. D’autres, plus bavards, se lanceront dans des explications précises, pleines de termes techniques et là c’est le néophyte qui reste coi, abasourdi par tous ces mots abscons.

Alors comment comprendre ce qui se passe sur l’établi ? Eh bien tout simplement en s’intéressant aux outils des horlogers.

C’est une longue histoire de fidélité entre l’horloger et ses outils. Elle commence dès l’apprentissage, là où le jeune apprendra à en façonner plusieurs à la lime et au tour. Il va les manier, apprendre à les connaitre, à les nommer, à les soigner. Il va les apprivoiser, les apprendre, les sentir et comprendre ce qu’ils peuvent faire avec les doigts encore malhabiles de l’apprenti. Ils vont gagner en valeur à ses yeux, ils lui seront précieux, car achetés neufs, ils sont chers, mais aussi car remis par des anciens horlogers ou encore transmis par héritage. Semaine après semaine, ils deviendront des compagnons de tous les instants. Encore aujourd’hui, les horlogers n’envisagent pas facilement d’aller travailler sans leurs outils qu’ils connaissent.

Alors faire parler intelligiblement des horlogers, mêmes les plus mutiques, c’est possible. Demandez comment s’appelle cet outil qu’ils ont en main et à quoi il sert. Avisez sur l’établi, celui qui détonne par son aspect fatigué et demander pourquoi il a l’air vieux. L’artisan se dévoilera, un peu, pour vous nommer l’objet, vous signifier son rôle et sa provenance. Pas de pitié pour l’outil fatigué ; si ce vétéran est encore présent c’est qu’il assume totalement son rôle toujours et encore après 50, 100 voire 200 ans.

Et leurs noms sont si explicites, si simples à comprendre : l’outil aux équilibres sert à équilibrer les balanciers, le tournevis tourne les vis, le burin pour les gorges de tiges de remontoir eh bien celui-ci sert à faire les gorges des tiges de remontoir ; quant à la pince à couper les spiraux comme aux brucelles à lever les courbes ou encore celles à marquer les points de comptage, de grâce ne demandez pas leur usage, il est formulé dans leur nom, mais plutôt quand et où ils interviennent. Et là, là s’ouvre souvent un bel espace d’échange. Il est si imagé, si beau et parfois si poétique notre métier de compteur de Temps, parfois aussi de conteur d’antan.

                                                                                                                                                Benoît Conrath

Coup d’oeil surune pendule neuchâteloise

Souvent dans les musées figurent des objets qui ont besoin d’être expliqués. Le monde a tellement changé et si vite. Alors voir contre un mur une vieille horloge noire et dorée avec trois aiguilles dans une boîte vitrée avec des ficelles qui en sortent appelle des explications.

C’est une pendule neuchâteloise grande sonnerie dans sa lanterne, le tout vieux de 150 à 200 ans. Ce type de pendule représente l’âge d’or de la pendulerie neuchâteloise. Débutée dans les fermes des hauteurs jurassiennes, au milieu du 17e siècle, la construction des pendules atteignit son apogée tant en quantité produite qu’en complexité entre 1830 et 1880.

Dans ces temps sans électricité, il était difficile de connaître l’heure la nuit sans allumer une bougie. Les paysans-horlogers ont donc imaginé des pendules qui pouvaient sonner durant la nuit les heures et, qui, à chaque quart d’heure résonnaient les heures puis les quarts d’heure. Et si on n’avait pas bien entendu, ou si on n’avait pas la patience d’attendre le quart d’heure suivant pour savoir l’heure qu’il était, il y avait la ficelle. Partant de la pendule et allant parfois même jusqu’au lit, on la tirait et elle mettait en marche la sonnerie. Un levier permettait de choisir le type de la sonnerie soit la grande sonnerie décrite plus haut, soit la petite sonnerie qui voit la pendule ne sonner que les heures puis que les quarts, soit en dernier lieu la position silence qui n’a pas besoin d’être expliquée.

Reste la 3e aiguille. Tournée à la main, elle indiquait l’heure du réveil. Remonté par un autre cordon, ce réveil ne s’arrêtait pas avant d’être totalement désarmé. Eh oui, difficile de se lever du lit pour aller l’arrêter, alors nos pragmatiques horlogers n’avaient rien prévu pour.

La boîte vitrée, elle, est appelée lanterne. Son rôle était de protéger la pendule car les maisons étaient moins propres. En se chauffant au bois ou à la tourbe et avec des ouvertures pas toujours bien étanches, les poussières ne manquaient pas et il n’y avait même pas d’aspirateur, pour dire !

C’était le chef de la famille qui s’occupait de la pendule. Il la soignait en la remontant avec une clef une fois par semaine. Il fallait aussi l’entretenir quand elle faisait la folle en retardant ou en s’arrêtant avant la fin de la semaine. C’était le moment de la confier à l’horloger, qui n’était jamais loin dans ce monde de l’établissage. L’homme la démontait entièrement, la nettoyait soigneusement et la remontait ensuite en remettant de l’huile aux bons endroits tout en inscrivant au dos de la porte de derrière la date de son intervention, après celles des années précédentes.

Quant à la lanterne, c’était parfois le lieu où on mettait les choses précieuses, celles de la famille, les premières photos, les médailles reçues, les mèches de cheveux des enfants disparus, tant de petites choses qui marquaient la vie familiale.

Et puis lorsque que la maisonnée se défaisait, au décès des parents, c’était le fils aîné qui reprenait la pendule, cet objet précieux transmis de fils aîné en fils aîné.

Ah bon et tout cela c’est au passé? Eh oui, les pendules neuchâteloises n’intéressent plus grand monde. Leur valeur marchande s’est vue diminuée de 20 fois en 40 ans. Et il n’y a bientôt plus que les musées et quelques passionnés qui apprécient la rustique complexité de ces belles mécaniques hors du temps.

    Benoît Conrath

Un fleurisan prix Nobel de physique en 1920 

Le jeudi 10 décembre 2020, cela aura fait 100 ans que Charles-Edouard Guillaume a reçu le prix Nobel de physique à Stockholm en Suède. Lors du banquet clôturant la journée, le docteur Guillaume prononce une allocution dans la langue commune à tous, c’est-à-dire le français. Dans son discours, il relève l’honneur rendu à deux pays ; la Suisse, pays de son enfance dont il a gardé la nationalité et la France, le pays qui a abrité la presque totalité de sa vie d’homme de science.

Dans son enthousiasme à louer la Suède, il s’autorise à relever la curieuse ressemblance de la campagne environnant Stockholm avec les pâturages jurassiens !

Oui vraiment étonnant de rapprocher la multitude des plates iles suédoises affleurant la mer Baltique aux hautes vallées jurassiennes.

Pourtant le fleurisan n’a pas oublié son village. Il retourne chaque année dans l’ancienne ferme neuchâteloise, proche de l’Hôtel de Ville, là où vit sa mère. Tout comme il entretenait des relations épistolaires avec la Société du Musée de Fleurier, devenue le MRVT. Nous exposons dans l’une de nos salles, le fac-similé de sa médaille Nobel et une radiographie d’une main, une nouveauté qu’il a envoyé au musée pour expliquer cette invention.

Aujourd’hui, une plaque de bronze signale la demeure familiale :

« Dans cette maison est né le 15 février 1861 Ch. Ed. Guillaume, prix Nobel de physique, inventeur des métaux Invar et Elinvar, dont les travaux contribuèrent aux progrès de l’horlogerie et de la chronométrie ».

Une longue suite de mots pour saluer la mémoire d’un amoureux de la précision.

Très vite après sa sortie de l’école polytechnique de Zurich, Charles-Edouard Guillaume entre au Bureau international des poids et mesures (BIPM) à Sèvres près de Paris. Il y passe toute sa vie professionnelle et y mène de longues recherches avec des métallurgistes français et allemands autour d’alliages ferronickel. De ce qu’il appelle une anomalie dans la dilatation de certains alliages et après avoir étudié près de 600 métaux différents, il arrive à déterminer la formule de l’Invar, soit 36% de nickel et 64% de fer.

La première utilité de ce métal aux dimensions invariables est de remplacer les lourds et couteux mètre-étalons, ces barres d’un mètre de long auparavant réalisées en platine. D’autres fonctions sont vite trouvées comme les thermomètres, baromètres et des appareils de mesure géodésique.

Natif de Fleurier, village horloger, notre physicien a proposé l’Invar comme tige du pendule des horloges de précision. Cette stabilité dimensionnelle aux températures l’a incité à mettre au point un autre métal, l’Elinvar. Ce métal présente une caractéristique essentielle pour l’horlogerie, celle d’une élasticité constante. Ici, c’est le spiral qui va profiter des travaux du Docteur Guillaume. Au chaud comme au froid les montres vont voir leur précision augmenter grandement. Sensible aux souhaits des horlogers de toujours accroitre la tenue de l’heure de leurs chronomètres, il mettra ensuite au point l’Anibal, un autre alliage de grande stabilité pour la construction des balanciers.

A la fin du 19e siècle, les activités horlogères quittent les ateliers familiaux pour se regrouper dans des fabriques. Des marques de fabriques sont lancées, on voit apparaître sur le cadran, sur le fond des montres de poche des inscriptions en anglais. Toutes se référent à l’horlogerie américaine, vue comme progressive. Ainsi fleurissent les xxx Watch & Co comme les prénoms anglophones pour les rejetons des horlogers.

Un peu irrité par cette mode, Charles-Edouard Guillaume tient à nommer les alliages qu’il a développés de noms évocateurs en français : Invar pour invariable, Elinvar pour élasticité invariable alors qu’il s’amuse de la martialité de l’Anibal pourtant bien pacifique comme acier au nickel pour balancier.

Mis à part l’apport essentiel aux progrès de l’horlogerie et de la chronométrie, comme mentionné sur la plaque de bronze, l’Invar a beaucoup contribué aux progrès de standardisation du début du 20e siècle.

En fournissant à chaque atelier des appareils de mesures stables, en garantissant que les relevés soient les mêmes à Stockholm qu’à Fleurier ou ailleurs, la contribution du prix Nobel de physique 1920 reste essentielle cent ans après.

Homme assidu au travail, Charles-Edouard Guillaume est décédé à Sèvres peu après sa retraite.

Il est enterré dans le cimetière de son village natal. Quant à sa famille, depuis la France, elle revient souvent pousser la porte de la maison de Fleurier, là où est restée fixée une petite plaque de laiton avec l’inscription Charles-Edouard Guillaume.

    Benoît Conrath